Faisant se rencontrer la photographie analogique et digitale, le négatif et le positif, l’empreinte et la représentation, Baptiste Rabichon procède au fil de ses séries à de minutieux carottages de l’histoire de la photographie. Il en fait dialoguer les multiples techniques avec les images récentes, notamment celles issues d’une société informationnelle fondée sur les réseaux numériques.
Sa série « Blue Screen of Death » les confronte ainsi au photogramme, dispositif photographique le plus élémentaire qui soit puisqu’il ne requière la médiation d’aucun appareil de prise de vue.
C’est en pensant au « caractère hypnotique et fascinant » de la lumière bleue diffusée par les petits écrans des appareils connectés que Baptiste Rabichon a désiré revisiter cette technique de création d’images qui consiste à disposer des objets sur une surface photosensible pour en fixer les contours.
Bien avant lui, toute une famille d’artistes d’avant-garde, notamment les Dadaïstes, a été fascinée par la magie du photogramme, qui transformant les objets en image, par simple contact, compromettait parfois leur reconnaissance. Ce pouvoir de révélation inattendu de la technique alimentait une poésie des objets qu’ils aimaient explorer librement, à l’écart des savoir-faire et des académismes.
Baptiste Rabichon voit en : « l’écran bleu de la mort », un phénomène issu du plantage d’un ordinateur, « une étrange prémonition de l’envahissement progressif de nos vies par les écrans ». Il y répond par des images produites sur du papier photosensible, à la lumière du jour. Cette imprégnation physique du photogramme, dont l’image provient de la densité des objets, son caractère résolument manuel et artisanal, l’artiste les redouble, il en joue en établissant une relation de contiguïté entre la table de cuisine et celle de l’agrandisseur, la vie quotidienne et le travail à l’atelier.
Les compositions qu’il réalise ainsi avec des peaux de bananes, des rondelles de citron, des cendriers et des paquets de cigarettes, des bouteilles de bière et des stylos à bille adressent des hommages citationnels à des artistes prestigieux, et pionniers dans leur pratique du photogramme : Anna Atkins et son répertoire de plantes, Karl Blossfeld et son goût de l’ornementation végétale, Man Ray et sa série de « Champs délicieux », Lazlo Moholy Nagy et ses études de mouvement de la lumière.
En intégrant systématiquement dans ces compositions un téléphone portable à l’écran allumé, Baptiste Rabichon superpose deux medium, c’est-à-dire deux supports d’images. Dans ces images, la table de l’agrandisseur, qui fait office de fond à ces compositions, devient une surface effleurée par les doigts y laissant leurs empreintes au même titre qu’avec l’écran de téléphone. Cette mise en abime évoque le défilement des époques et des techniques, mais aussi la concurrence que la photographie a toujours eu à mener, au fil de son histoire, avec des images d’autre nature pour établir sa légitimité. Dans ce qui peut parfois s’interpréter comme des selfies augmentés de l’artiste, ou des vanités contemporaines rappelant la volatilité des images, il est aussi question de la multiplicité de leurs contextes de production, d’usage et de circulation, ainsi que des bouleversements économiques et sociaux qui ont affecté les sociétés mondialisées et l’ensemble du territoire des images.
Texte écrit pour la Galerie Binôme et l'exposition de la série Blue Screen of death au salon Approche, nov. 2022.