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Raúl Illarramendi "Drawing from Nature"

  • fronton

    © Crédit photographique Nicolas Brasseur, courtesy de l'artiste et de la galerie Karsten Greve

Dans son exposition "Drawing from Nature", Raúl Illarramendi convoque d’emblée l’idée de motif en plein air, des motifs que l’artiste trouve dans la rue : traces de doigts sur les carrosseries poussiéreuses de camion, impacts de ballons sur des portails, traînées de crachats sur les murs (SD, abréviation de Spit Drawing). La retranscription minutieuse de ces traces, au crayon et à échelle 1, génère des œuvres de grand format, parfois monumentales.

Dans sa volonté de toucher le moins possible à la naturalité du sujet, Raúl Illarramendi a développé un procédé graphique qui évacue la trace de la main. Le motif n’est pas formé par les contours du crayon. Il se circonscrit dans les réserves émergeant de crayonnages patients de la surface. Le dessin s’extrait d’un fond préparé à la gouache, intouché par le crayon. En inversant la hiérarchie traditionnelle entre la forme et le fond, l’artiste exploite les possibilités illusionnistes du dessin, jusqu’aux limites de sa disparition. Le leurre repose sur l’effacement de l’action de la main et l’illusion que la trace est une empreinte.

Un fort effet de présence s’en ressent. Il est produit par le paradoxe d’un dessin à la fois performatif et absent en tant que tel (leur titre est EA, abréviation de Evidence of Absence). L’artiste décrit ce processus comme : « un travail de mémoire contenant juste assez de réalisme pour tromper l’attention». Juste assez pour créer un doute, produire un effet de sidération chez le regardeur.

« Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme », écrivait Edgar Degas. Il est, chez Raúl Illarramendi, l’outil d’une réflexion qui interroge à la fois la définition de la nature et la nature du dessin. EA n°131 (Sucio) est à ce titre une composition qu’il qualifie de didactique. Sur ce qui s’apparente à un mur sale et lessivé par endroits apparaît le mot « sucio » (sale), comme tracé du doigt dans la poussière. De ce nettoyage produisant à son tour des traces (celui des graffitis est un exemple bien connu), l’artiste retient une ambiguïté qu’il reporte dans sa pratique du dessin. Il dit ainsi partager avec les peintres abstraits, comme Antoni Tapiès ou Cy Twombly, une fascination pour les accidents qu’il intègre à ses travaux en les imitant.

Qu’appelle-t-on nature ? Ce qui ne provient pas de la main ou ce que l’on en voit ? Et comment perçoit-on ce que l’on voit ? Par sa pratique déviante du dessin, Raúl Illarramendi contourne l’artifice du ressemblant pour rester au plus près de la naturalité du motif.  En rendant hommage à la série des Sainte Victoire, (DFN, 2013) il reprend à son compte l’ambition de Paul Cézanne : trouver des équivalences à la nature au lieu de la transformer.

Pour artpress.com