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Playtime, le corps dans le décor

  • Metallos

    © Emese Miskolczi

« Le corps dans le décor »

L’exposition Playtime prend pour fil rouge le thème du
« corps dans le décor ». Elle se structure en deux volets reliés par une installation composée d’œuvres
« praticables » réalisée par Elvire Bonduelle.

La première section
fait se rencontrer Lucien Hervé et Cyrille Weiner à travers une sélection de photographies filtrée par des références à Play Time, un film réalisé par Jacques Tati en 1967.  Par ses collaborations avec Le Corbusier, et des architectes majeurs du modernisme,  Lucien Hervé a contribué à diffuser une utopie sociale, portée par une montée en force de l'industrie, une croyance en la machine et en son amélioration des standards de la vie domestique. L’ambition des urbanistes d'après-guerre a été de replacer l’humain au cœur de la ville, mais l’architecture normative qu’elle a généré s’est progressivement écarté de cette volonté de départ. En observant le vivant à la marge, là où l’on ne l’attend plus, Cyrille Weiner explore les manifestations actuelles, nécessairement éphémères, de cette utopie du « vivre ensemble ». La rationnalisation des espaces de vie s'évanouit à la périphérie des villes, elle favorise les actions improvisées qui échappent aux loisirs planifiés et au bonheur standardisé. L'approche de Cyrille Weiner est curieuse et sans nostalgie, avant tout sensible à la façon dont l’homme se réapproprie son environnement.

Chez Elvire Bonduelle
, des œuvres liées à l’idée d’aménagement de l’habitat irriguent une réflexion sur le fait de « trouver sa place ». Ses sculptures-mobiliers évoquent différentes manières d’être au monde : travailler, se cultiver, contempler… Leurs formes jouent parfois sur la frontière ténue entre conformisme et confort, adaptation et appropriation, fonctionnalisme et recherche personnelle du bonheur.

La seconde section de l’exposition fait dialoguer les artistes Emese Miskolczi et Nathalie Regard. Leurs œuvres se situent à l’intersection du visuel et du virtuel. L'approche sérielle de Lucien Hervé multipliant les prises de vues d'un même bâtiment entretien une connivence avec la définition de la maison comme "machine à habiter" par le Corbusier. Cette métaphore machinique est également à l'oeuvre dans les travaux de ces deux artistes, marqués par la notion de processus et de répétition. La dématérialisation des espaces représentés évoque aussi ces nouveaux territoires de la "surmodernité" appelées « Non-Lieux » par le sociologue Marc Augé, des lieux de passage non destinées à être habités comme les aéroports, les salles d’attentes ou les écrans d’ordinateur ; l’appareillage informatique appartenant, en partie, au même espace que celui dans lequel notre corps agit1. Leur fascination pour les zones intermédiaires s’exprime par une reconstruction plastique de leur nature transitoire. La métaphore du chantier comme valorisation du travail, très présente chez Lucien Hervé, resurgit également avec force chez les deux artistes.

Pour conclure...
Issus d’une génération témoin de mutations importantes dans l’espace urbain, Lucien Hervé (1910-2007) et Jacques Tati (1907-1982) apportent une perspective historique sur les travaux des quatre autres artistes : Lucien Hervé rappelle à quel point la photographie a accompagné les étapes du mouvement historique moderne : la transformation urbaine, le nouveau paysage industriel, l’expansion du territoire. Le regard qu’il porte sur l’architecture de son temps est emblématique d’une approche utopique du « vivre ensemble ». Si l’urbanisme moderniste a insisté sur la vocation relationnelle et sociale des espaces aménagés, les « Non-Lieux » renvoient à l’expérience du déracinement, mais aussi à la dérive contemplative, celle que décrit Jacques Tati dans Playtime avec les personnages de Mr Hulot déambulant dans "Tativille" et d'une jeune touriste américaine se séparant de son groupe organisé.
De l'urbanisme moderniste à l'appropriation de friches et de territoires virtuels, cette exposition est une réflexion sur l’habiter liée aux formes de représentations de l’espace construit.

Marguerite Pilven, août 2013

1- Ces lieux sont mentionnés à titre d’exemple. Tout lieu peut devenir un « non lieu » et inversement, en fonction de l’usage que l’on en fait. Une friche urbaine ou naturelle (non-lieu) peut devenir un squatt (lieu) et une habitation devenir un « non-lieu », comme le décrit Tati dans Play Time, avec les "appartement-vitrines."

Playtime
Du 13 septembre au 9 novembre
La Graineterie / Houilles sur Seine

Plus d'infos : www.playtime-expo.com