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Julien Berthier & Virginie Yassef, Everything’s gonna be all right

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    © Courtesy galerie George Ph. & N. Vallois

La galerie Vallois consacre sa nouvelle exposition aux travaux de deux jeunes artistes récemment diplômés de l’école des Beaux-Arts : Julien Berthier et Virginie Yassef.
L’efficacité de leurs œuvres tient dans la brièveté de leur proposition, dans un jeu de rapports éclairs entre l’œuvre et son titre jouant sur des glissements de significations.

Dans les vidéos de Virginie Yassef réalisées lors d’une résidence à Pékin, le titre fonctionne en contrepoint de ce que l’on voit. À la lumière du titre Dragon, la pelleteuse dont l’artiste filme les déplacements sur un chantier, charriant du sable entre les dunes, prend des allures d’animal préhistorique avec son long cou mécanique.
Spiders filme les déplacements d’un ouvrier tirant un câble électrique, entre deux autres sur lesquels il tient en équilibre avec ses jambes et ses bras. Yassef concentre la séquence sur les mouvements gracieux et habiles de l'homme, au-dessous duquel circulent les automobiles. Sensible à la concentration urbaine de Pékin, elle semble vouloir en isoler des actions pour se concentrer sur leur rythme et leur déploiement spécifique dans l’espace, à la manière d’un chorégraphe.

Avec sa pièce Billy Montana, Yassef recycle la célèbre étagère Ikea de même nom, intercalant entre les planches de plexiglas qui la composent d’autres planches colorées. Elle en sature l’espace jusqu’à la rendre inutilisable. L’étagère s'assimile ainsi à une colonne verticale, évocant les travaux du sculpteur minimaliste Donald Judd. Par cette intervention simple et identifiable, Yassef se réapproprie l'objet manufacturé pour le détourner de sa fonction ustensilaire, tout en prenant cette fonction au pied de la lettre (une étagère étant conçue pour être remplie). Plus qu'une proposition absurde, il s'agit d'une stricte tautologie plastique qui n'ajoute ni ne retranche rien aux propriétés de l'objet, mais les fait voir différemment.

Les travaux de Julien Berthier jouent aussi de ces décalages entre une réalité donnée et sa transformation par le biais de petites interventions. Dans la photographie Goudarchitecture, l’artiste a glissé une curieuse maisonnette, fabriquée avec le fromage de même nom, entre les autres habitations composant la vue panoramique urbaine. Le titre, jeu de mots à tiroirs, précise en passant que la proposition est good.

« Everything’s Gonna Be all Right », nous assure d'ailleurs l’artiste, que l’esprit d’invention pousse, depuis 2000, à proposer ses Machines Berthier pour améliorer notre quotidien. On retrouve ici le protoype grandeur nature de sa Para Site, réalisée en matière éponge bleu ciel ! Ce véhicule d’aspect étrange serait destiné, d’après les mots de son concepteur, à « créer un nouveau rapport au déplacement urbain tout en redonnant sens à la notion de communauté ». Le principe : une voiture qui puise son énergie en se branchant chez les commerçants ou les voisins, et qui par le seul fait de cette dépendance électrique, contribue au « resserrement du tissu social ».

Une série de dessins permet de prendre connaissance des autres inventions de notre artiste ingénieur, parmi lesquelles des propositions de façades cache-misère destinées à masquer un immeuble banal, façon « grec antique », « saloon » ou « titanic ». On y apprend aussi par le biais d’un mode d’emploi comment déposer un cadeau dans une voiture fermée à clé, comment faire grincer les portes des maisons de campagne neuves, ou comment inaugurer de nouveaux rapports dynamiques entre une chaise et le sol en taillant en allumettes les pieds de la chaise et en recouvrant le sol de grattoirs. On n’arrête pas le progrès !

Les oeuvres des deux artistes puisent avec finesse dans l'héritage de l'art conceptuel dont ils détournent la rigueur à des fins humoristiques. La logique de ces facécies est en effet toujours circonscrite à un geste ou à une proposition unique. Virginie Yassef et Julien Berthier jouent avec les catégories logiques qui régissent notre approche pratique du quotidien ou notre langage. Le prétexte de départ de l'oeuvre semble parfois tenir à une association d'idées ou à un jeu de mots. Une occasion de s'amuser avec esprit.

Julien Berthier, Virginie Yassef
Everything’s Gonna Be all Right
Galerie Vallois, Paris


Pour paris-art.com, 2004