"Un plaisir délicieux m'avait envahi, en me remplissant d'une essence précieuse. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel, d'où avait pu me venir cette puissante joie ?"
Voici les mots écrits par Marcel Proust après avoir croqué dans une petite madeleine trempée dans du thé. Comment se fait-il que des phénomènes si infimes puissent nous éveiller à notre propre sensibilité ? Voilà sans doute l'un des pouvoirs de la création artistique.
En intitulant cette exposition Les plaisirs et les jours, je prends Marcel Proust pour figure inspiratrice et convoque également la notion de plaisir, trop rarement invitée à rejoindre le lexique de l'art contemporain. Il se trouve pourtant dans l'étymologie du mot savoir la notion de "sapere", ou saveur...Savoir et plaisir semblent faire bon ménage, si l'on en croit aussi le philosophe Spinoza dont on peut dire que la pensée invite essentiellement à plus de discernement.
Car je si ne suis pas adepte des croisades anti-ceci et pro-cela, je crois en revanche dans le pouvoir optique des mots. L'écriture peut décrasser le regard lorsqu'elle permet d'établir des distinctions à l'intérieur d'une réalité perçue de façon agglomérante, par assimilations et comparaisons hâtives; vision agglomérante et morne dont se repaissent les passions tristes et ne contribuant en rien à dévoiler la réalité subtile des êtres et des choses.
Car il existe un terrible pouvoir couvrant des mots.
En choisissant de me pencher sur une "cuisine" de l'art et en convoquant des artistes aux esthétiques et pratiques très différentes, je m'interroge sur ce que leur activité contient de singulier, dans le sens quasi idiosyncrasique du terme, et en quoi, par le seul fait de provoquer des formes inutiles et non attendues, elle est une forme de résistance à la banalité croissante du monde, dans ses visions les plus communément partagées. Une résistance qui passe par une forme de détachement et d'humour, un comportement moins autoritaire et plus individué à l'égard du temps de l'action et de l'espace des projections.
Note d'intention de l'exposition Les plaisirs et les jours, conçue sur une invitation de
l'Atelier Blanc et visible du 19 février au 1er mai 2016