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Mark Lyon, Free contacts et Look : See

  • Free contacts, Mamour, 2019, tirage jet d’encre sur papier Hahnemühle,  150 x 212 cm, collection CNAP.

Si Mark Lyon s’est illustré dans de nombreux domaines de la photographie, architecture, paysage, et commandes pour la presse, c’est vers l’art du portrait qu’il s’est focalisé depuis 2017.
Pour le photographe américain, qui a travaillé à New-York et s’est formé dans les années 90 avec Richard Avedon, la pratique renouvelée du portrait est aussi l’occasion d’interroger, aujourd’hui, et plus fondamentalement, la puissance opératoire d’une activité qui est de l’ordre de la rencontre, d’un dévoilement par l’échange. En quoi la prise de vue peut-elle être un exercice maïeutique où l’on se rendrait un peu moins étranger à soi et aux autres ? Peut-être que le photographe, parti très jeune en France avec son Rolleiflex, revisite-t-il aussi un héritage américain où la figure du self-made-man, la puissance de l’initiative individuelle et l’image de soi dans l’adversité constituent un acte de foi ?

Les personnes dont Mark Lyon a fait les portraits traversent chacune un moment de leur histoire qui est un seuil. Elles se trouvent à une étape de leur vie qui interroge les fondements de leur identité, leur stabilité et leur existence sociale. Les modèles de la série Look : See (60 portraits) partagent la commune condition d’être étudiants aux Beaux-Arts de Paris. Ceux de la série Free contacts (250 portraits) sont arrivées de multiples continents. En situation d’exil, ils sont tous entrés en Europe par le même pays, l’Italie.
Pour Mark Lyon, ces séries réalisées parallèlement sont les deux faces d’un même projet artistique et introspectif. Ces portraits d’individus ont été réalisés dans des contextes où leur ressource existentielle les interroge, mais les fait aussi tenir et advenir en tant que sujets. On sent que ces portraits sont les images de sujets actifs, mis au défi d’une exposition à la lumière. Comparant les deux séries, la critique d’art Emeline Vincent faisait remarquer « les différences évidentes de rapport à la photographie ». « Dans les portraits des étudiants des Beaux-Arts de Paris, les poses sont stylisées. On a affaire à des gens bien informés, qui évoluent dans un certain milieu, tandis que les poses ou les allures adoptées par les exilés, semblent beaucoup plus spontanées ».


Malgré la disparité des situations, des contextes et des épreuves de vie incomparables que ces sujets ont traversés, on sent à chaque fois la volonté d’une personne qui se dresse, s’affirme dans  l’espace et la temporalité de la prise de vue que Mark Lyon a choisi de sanctuariser en travaillant à la chambre photographique : « je fais une sorte de pas de deux avec la personne qui est en face de moi. Je bouge autant qu’elle - je ne suis pas collé au viseur en train de « shooter ». Je prends mon temps, la personne peut composer, elle aussi », précise-t-il lors d’un entretien. Un vacillement est souvent perceptible, les sujets photographiés semblent tester l’espace, y chercher leur aplomb et leur place. Des moments émus, inquiets, amusés, joyeux, se décèlent dans les postures corporelles, les regards, les expressions, les mains. Leur personnalité est visible et leur état perceptible, mouvant. À les découvrir dans les grands formats qui ont été choisis pour leur exposition, il semble que nous partageons le même espace, le même air, la même lumière. La réalisation de ces portraits suffirait-elle à rappeler à l’étudiant, à l’exilé, qu’un monde lui est ouvert, qu’il l’appelle et l’attend ?


Ce désir aura été tout à la fois le moteur, l’ambition et le pari qui ont porté le photographe lors de ce double projet au long cours, réalisé entre l’Italie et la France de 2017 à 2022. Dans leurs plus beaux moments, ces photographies font surgir une forme première de l’amour qui est le don de soi, elles sont une promesse d’avenir portée, transmise par une solidarité de regards à la fois témoins et garants de l’autre dans son intégrité.

Texte écrit pour la candidature de Mark Lyon au Prix Camera Clara.