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Helmut Newton

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    © Courtesy galerie Daniel Templon

Né en 1920 à Berlin, Helmut Newton commence à travailler en tant que photographe de mode, pour Vogue, Elle ou Stern. L’exposition que lui consacre Daniel Templon nous montre comment il s’est depuis éloigné des contraintes du genre, pour en brouiller les codes et y projeter sans pudeur ses fantasmes.
Le titre de la série, Yellow Press, mentionne la matière première à partir de laquelle Newton a développé son univers fantasmatique : la presse à sensation. L’artiste en collectionne depuis des années les clichés dont il exploite les codes pour les mélanger à ceux de la mode et du feuilleton policier.

Une vidéo en noir et blanc montre une femme entrant précipitamment dans une chambre souterraine et retirant loin des regards la combinaison qui la dissimule. Elle tire la fermeture éclair de sa cagoule cousue à hauteur des lèvres, celles de ses chaussures et de sa combinaison. La caméra suit ses mouvements, jouant sur la forte charge érotique du zip des fermetures. Une fois débarrassée de sa perruque et de ses faux cils, elle s’étend sur son lit et le téléphone sonne : « Mama, che gio sentirte ! » s’écrit-elle dans le combiné. Il s’agit en fait d’un spot publicitaire pour la marque de chaussures Lampo Lamfranchi.

A l’image de ce court-métrage, les photographies de mode flirtent constamment avec la série noire. La série intitulée True or false murder scene montre un somptueux corps féminin qui, victime de sévices, est étendu inerte sur une moquette à motifs rouges. Privilégiant la prise de vue en plongée, Newton photographie trois fois le corps sous différents angles, mimant la démarche scientifique du document policier et usant de ce prétexte pour s’en délecter. Avec malice, Newton s’amuse de ces décalages qui enrichissent la trame narrative des photographies et permettent l’irruption de l’ob-scène, c’est-à-dire de ce qui est derrière la scène : fantasmes, désirs cachés…
Une autre série met en scène une femme aux yeux recouverts de sparadraps et aux seins nettement visibles sous un transparent soutien-gorge noir. Sur un deuxième cliché, elle écarte les bonnets de son sous-vêtement, découvrant ses seins, et sur le troisième, enfonce le doigt dans un de ses tétons, tout en continuant à fixer l’objectif avec ses yeux aveugles. Jouant sur le dualisme du manifeste et du caché ainsi que sur l’analogie formelle œil/sein, ne peut-on y voir une métaphore du voyeurisme, pratique qui a manifestement sa place dans le propos de l’artiste ?

De grands tirages papier reproduisant des pseudos-unes de journaux poursuivent ce jeu de simulacres. « SEQUESTRATA ! » titre un canard italien, avec pour photo une femme nue, allongée face contre terre et attachée par le poignet au pied d’un radiateur. «.WHAT’S NEW MURDER » titre pour sa part la une du New Republic que vient illustrer la photo d’un cadavre masculin étendu dans un intérieur bourgeois. Le cadrage retient aussi de sensuelles jambes croisées, chaussées de talons aiguilles, signalant de manière elliptique une présence féminine à l’endroit du meurtre. Newton reprend dans cette composition le dispositif stratégique de l’image à sensation qui émoustille l’imagination du lecteur par la mise en scène d’indices.

Les images construites par Newton combinent des esthétiques à finalité très différente. Si l’univers de la mode reste omniprésent dans ce travail, les actrices de ces récits photographiques étant de superbes mannequins, une intrigue les place toujours dans un contexte qui dramatise leur corps et rend manifeste l’érotisme latent de leurs accessoires. Téléphones, pistolets ou chaussures à talons véhiculent une signification au-delà de leur seule présence. En s’appropriant des stéréotypes qu’il détourne, Newton pointe avec amusement ce qui pourrait rapprocher le travail du paparazzi de celui du photographe de mode : créer du fantasme, fabriquer des images qui font vendre.

Helmut Newton
Yellow Press
Galerie Daniel Templon, Paris


Pour paris-art.com, 2003