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Pierrick Sorin, Tournis Coulis

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    © Galerie Eva Hober

Dans l’atelier où des projets scénographiques pour la Scala de Milan et l’Opéra National de Taïwan l’occupent déjà, le désordre est proportionnel à la somme d’activités menées par Pierrick Sorin, homme orchestre à la fois caméraman, décorateur, acteur, monteur... Faisant un matin de la place sur son bureau pour y voir plus clair, il enroule machinalement, dans un verre coloré, un câble informatique.

L’aspect déformé qu’il prend une fois à l’intérieur aiguille son attention :« L’association verre câble, créée dans un but utilitaire, donnait lieu à une sorte de ready made, dont la validité artistique était certes aussi douteuse que l’efficience de sa fonction pratique. Mais quelque chose m'intéressait dans cette histoire: le fait qu'un individu, en l'occurrence moi même, puisse à ce point faire cas d'un geste et d'une construction visuelle en vérité bien dérisoire en regard des grands questionnements du monde.1 » Cette « révélation » esthétique est le point de départ de son installation à la galerie Eva Hober. Pour partager sa trouvaille, Pierrick Sorin se glisse dans les traits d’un professeur, « façon Leroy Merlin mâtiné d’un poil de Salvador Dali.2 ». Du premier il reprend le côté « bon plan », prodiguant au visiteur de précieux conseils pour ranger ses câbles en les enroulant soigneusement et en les classant par familles, dans des verres de couleur différente. De Salvador Dali, il a cette façon « paranoïaque critique » qui consiste à voir dans une chose la forme possible d’une autre par le fait d’une attention aigüe, quasi maladive, portée au détail. Afin que rien n’échappe au professeur Sorin, les verres à câbles disposés sur des plateaux rotatifs tournent sous l’œil attentif d’une caméra de surveillance. L’enroulement des câbles et leur rotation soigneusement orchestrée provoquent une redondance de mouvements concentriques qui rappelle les auto filmages du vidéaste, réalisés dans les années 80. Effets de zoom sur des détails et montages d’actions en boucle focalisaient l’attention du spectateur sur les échecs répétés de Sorin le maladroit : bol de chocolat renversé sur des croquis de travail, recherche stérile d’un jeu de clés égaré...De ce point de vue, le scénario fondé sur un protocole créatif de rangement serait le reflet inversé de ces actes manqués.

A la figure de l’artiste victime d’accidents se superpose celle d’un professeur, auteur d’un système de contrôle ingénieux. Mais le tour de passe passe n’est pas si simple... Censé venir appuyer la méthode de rangement que le professeur expose, l'œil grossissant d’une caméra filme en temps réel la rotation des verres. Projetés sur les murs de la galerie, les câbles se déforment sous l’effet conjugué du mouvement et de la déformation du verre, dessinant un paysage hypnotique de fils enchevêtrés. Le décalage entre les propos du professeur, sagement pragmatiques, et leur illustration visuelle anarchique prête à rire. Noyé au cœur d’un vaste système optique, le professeur Sorin est débordé par les devenirs d’un dispositif qui lui échappe.

Manipulant avec brio les effets et illusions d’optique, Pierrick Sorin excelle dans les jeux psychologiques d’inversions. Son dédoublement dans les auto filmages et les doublures qu’il utilise sont autant d’autoportraits ambigus : Prestidigitateur, personnage ectoplasmique dans ses théâtres optiques ou auteur d’activités étranges qui, faute d’entrer dans le rayon d’action balisé par l’Homo faber, pourraient bien s’apparenter à de l’art, d’où nous parle exactement Pierrick Sorin ? Un doute radical sur le statut d’artiste et de sa prétention à faire oeuvre nourrit ces déplacements constants. Faute d’être un Leroy Merlin accompli, le professeur Sorin, auteur d’une fresque monumentale de câbles, n’est-il pas un peintre qui s’ignore ?

1 Propos de Pierrick Sorin
2 Pierrick Sorin nous avertit que la description de son personnage, écrite au moment de la gestation de l’oeuvre, pourrait ne pas être tout à fait conforme au résultat final.

Marguerite Pilven.
Communiqué de presse pour la galerie Eva Hober, Septembre 2010.