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Josué Z. Rauscher ou les nouveaux commencements

  • josué z r
Sans doute n’est-il pas meilleure façon de parler de l’humain que de s’intéresser à sa relation aux objets. Les outils permettent son accomplissement, sa maîtrise de la nature et l’appropriation de son environnement. C’est le processus inhérent à ces formes d’inscription dans le monde que Josué Z. Rauscher fouille et délivre « sur le mode d’une espèce d’archéologie expérimentale »2

Jour du Seigneur (2013) et Le Pèlerinage à Emmaüs (2014) sont deux œuvres significatives de son questionnement amusé sur la fonctionnalité des objets. Par les systèmes de déclassement et de recyclage qu’il met en œuvre, Josué Z. Rauscher s’émancipe de « cette instance sélective (...) qu’est le rationalisme »?3. Il développe une recherche guidée par une libre manipulation des objets, l’étude sensorielle et comparative de leurs formes et de leurs matériaux. Son œuvre se construit de manière à la fois empirique et contemplative, comme aux premiers temps de la technique.

D’apparence pré-industrielle voire pré-culturelle, ses objets ont un caractère souverain, indéchiffrable et silencieux. Dévoyés de leur fonction première, ils migrent vers un « ordre de nature »?4 que Jean Baudrillard opposait dans Le système des objets à ceux produits par une « société technique »?5 développée « sur la base d’une abstraction totale »?6. Chez Josué Z. Rauscher, le traitement de la matière leste chaque forme d’une présence singulière.
L’absence de finalité de ces objets en fait aussi des « outils spéculatifs »?7 où se réfléchit tout autant la réalité du travail que celle de la création artistique. Les références au chantier et l’entremêlement de l’espace de travail à celui de l’exposition caractérisent fortement son univers. Mais l’accident, la panne, l’équilibre précaire, si présents dans l’œuvre de Josué Z. Rauscher, opposent une forme de résistance sourde aux critères de la productivité.

Car, au-delà des objets, c’est plus essentiellement du geste qu’il s’agit. En le dégageant de toute finalité clairement identifiable, Josué Z. Rauscher fait apparaître le sens du faire. En le réfléchissant dans sa réalité économique, morale et affective, il l’approche comme valeur. Travailler pour quoi ? Apporter quoi de plus à ce monde déjà saturé d’objets ?

À ce sujet, certaines pièces imaginées par Josué Z. Rauscher évoquent aussi des jouets brisés ou des armes, résidus d’actions ludiques ou guerrières au travers desquelles les civilisations expriment l’excès, dilapident l’avoir et touchent l’être.

S’il fallait retenir un aspect essentiel et singulier de l’œuvre de Josué Z. Rauscher, ce serait cette forme de poïesis qui la caractérise et l’habite. Le philosophe et architecte Stéphane Gruet en donne la définition suivante : « Ni production technique, ni création au sens romantique, l’œuvre poïétique réconcilie la pensée avec la matière et le temps, et l’homme avec le monde »?8.

Texte pour la YIA art fair #05, octobre 2015
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1. Nous empruntons l’expression du titre à Jack Ralite - La pensée, la poésie et le politique. Éd. Les Solitaires Intempestifs, 2015 -
2. Propos de l’artiste
3. Qu’est-ce que la sculpture moderne ? Éd. du centre Georges Pompidou, 1986
4. Jean Baudrillard, Le système des objets. Éd. Gallimard, collection Tel, 1968
5. Ibid.
6. Ibid.
7. L’usage des formes, artisans d’art et artistes. Palais de Tokyo, 2015 (document d’aide à la visite de l’exposition)
8. Stéphane Gruet, Architecture, ville et société humaine. Éd. Poïesis, 2015