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Anahita Bathaie, Bruissements

  • anaitha
Nous vivons une époque bavarde, empressée de communiquer, oublieuse de la qualité fertile d'un certain silence. Cette résistance par le silence1 s'est trouvée chez plusieurs artistes conceptuels dont l’oeuvre tentait une forme de mise en présence. Elle apparaissait ainsi dans son économie fonctionnelle et non plus formelle. La distinction est de Jean-Hubert Martin2 qui poursuit ainsi : "l'oeuvre d'art ne peut se réduire à la seule sensation rétinienne. Elle possède une aura qui déclenche des phénomènes mentaux".

L'on sent d'abord, chez Anahita Bathaie, une volonté de s'extraire de tout discours convenu pour inventer de nouvelles conditions d’échange avec le regardeur. Ces conditions se traduisent au moyen de gestes qui ouvrent des espaces de friction entre le social et l'intime, l'identité et la subjectivité. Anaitha Bathaie capte sous de multiples formes ce pouvoir de transformation à l’oeuvre. Il se performe parfois sous les yeux du visiteur. Il se dépose aussi sous la forme de tracé, dans la pratique réglée d’une écriture ou d’un dessin. Il se ritualise à travers ses photographies et ses vidéos. Il se déploie dans l’amplitude du noir et du blanc, quel que soit le medium choisi pour le manifester.
S'extraire du discours convenu, c'est permettre une possibilité de commencement. C’est tenter un espace de transformation entre ce qui est et adviendra peut-être chez le regardeur.

Avec l'exposition Bruissements, l'artiste orchestre un voyage mental qui gravite autour d'un motif récurrent, l'Arbre de vie. Son contour apparaît, indissociable de l’économie du geste qui l’a tracé avec précision à la mine de plomb. Il peut faire écho au patient travail manuel de filage du lin, le tissu sur lequel cet arbre se détache, en une forme de tridimensionnalité suggérée, comme contenu en puissance.
Ailleurs, sur une autre cimaise, nous trouvons ce même arbre dessiné en négatif, encadré et de fait maintenu à distance. Il est comme une échographie du premier, littéralement « écrit par l'écho ».

En un autre mode de présentation filmé, l’arbre retrouve le réalisme de ses couleurs et de son paysage naturel. Nous regardons cette fois-ci le plan fixe d’une clairière arborée. Dilatée dans sa profondeur et sa répartition sonore, la bande son qui accompagne le film est immersive, enveloppante. Elle simule la profondeur d’un espace, inscrit le plan fixe dans une temporalité. Un gazouillement d’oiseaux, trop persistant pour sonner vrai, se mêle progressivement à l’impact de bombardements, au crépitement du feu, à la rumeur générique de la guerre. Puis la clairière réaliste trahit soudain sa nature d’image filmée lorsque des flammes apparaissent, cornent et craquèlent sa surface iconique. Cette destruction par le feu convertit l’image projetée en une peinture aux couleurs inouïes.

Dans cette exposition, Anahita Bathaie invente les conditions d’une apparition, d’une construction et d’une destruction d’espace dont l’Arbre de vie est le pivot symbolique. Il revient à chacun d’en approcher le mouvement, d’en sentir la vitalité, d’éprouver ce qu’il en reste une fois retrouvé le tumulte de son existence.

communiqué de presse pour la galerie ALB, novembre 2015.

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1 Bernard Lamarche-Vadel parlait d’une « occlusion ». Conférences de Bernard Lamarche-Vadel : La bande-son de l'art contemporain, Ed. du Regard : Institut français de la mode, 2005.
2 Benjamin H.D Buchloh et Jean- Hubert Martin, "Entretien", Les Cahiers du Musée national d'art moderne, n°28, été 1989, numéro Magiciens de la terre, Paris, Centre Pompidou.