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Claire Tabouret, Où est passée la journée d'hier

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    © galerie Isabelle Gounod

Elément liquide prenant corps dans une superposition de strates, la peinture cristallise en une image qui engage un mode de représentation spécifique. La multiplicité des régimes de visibilité qui ponctue son histoire rappelle à quel point l’apparence des choses est labile et le processus d’achèvement du tableau une trajectoire qui ne va pas de soi. Clouzot en filme la dynamique d’auto-engendrement dans Le Mystère Picasso et Balzac en décrit l’écueil dans Le Chef d’œuvre inconnu.
Les peintures de Claire Tabouret se construisent dans cette tension relative à leur stase, d’où sa prédilection pour les sujets qui lui permettent de confronter différents degrés d’actualisation de la figure. Sa représentation de maisons partiellement inondées oppose l’espace construit à l’espace liquide, leur forme arrêtée et terrestre, à celle, mouvante et dissolue, de leur reflet dans l’eau. Déployant un espace réflexif, elles confrontent différents degrés de visibilité. « Souviens-toi que tu es née liquide et que tu redeviendras liquide. »
Mais à l’instar d’autres peintres de sa génération, c’est dans l’image filmée que Tabouret trouve cet « autre » de la peinture qui la nourrit. Des images prélevées de vidéos qu’elle réalise lors de ses traversées à pied de villes ou de campagnes, de préférence à la tombée de la nuit, matrice, comme l’eau, de tous les possibles. Ces « résidus diurnes » agissent comme un filtre qui fait taire les données immédiates de la perception, pour n’en retenir qu’une évocation lointaine de lumières et de masses aux contours indéfinis. C’est dans ce manque à voir que Tabouret voyage mentalement, s’aveuglant pour mieux convoquer une mémoire d’affects et reconstruire un espace pictural dense.
La surface si vibrante des tableaux, où les couches colorées se superposent et s’imprègnent, témoigne d’un exercice de mise au point cinématique qui consiste, pour la peintre, à ajuster son image entre une peinture déjà visible et toujours en puissance. Les touches qu’elle dépose assourdissent l’image déjà là, en un effort pour la maintenir liée aux flux de la matière qui les sous-tend. Car peindre est aussi pour elle ralentir le moment d’avènement de l’image, pour en explorer le mystère. Elle en arpente les stades et mesure ainsi l’ampleur de la peinture comme champ d’expérience inouï.
Sa série la plus récente, "Blow Up", dilate l’espace du tableau en zoomant sur des détails de paysage, pour explorer les informations colorées qui la constitue. Tabouret touche ici la frontière, ténue, entre vision extrême et aveuglement progressif, quête du détail et perte de lisibilité. Ce zoom aborde aussi la peinture (et la déborde) comme un arrêt sur image qu’il est possible de faire basculer dans un registre plus abstrait.
Eternellement liés à l’élément liquide où ils se meuvent, les vaisseaux fantômes que peint Tabouret ne rentreront jamais au port. Ils rappellent le rêve du poète romantique, Novalis, qui écrivait dans son Hymne à la nuit : « Faut-il toujours que le matin revienne ? Est-il donc sans fin, l’empire des choses terrestres ?». Les paysages qu’elle retient dans le crépuscule sont troués de lacs sombres, masqués de rideaux de feuillages qui absorbent la couleur et retiennent la lumière, complices dans ce retardement de la vision ultime.

Claire Tabouret
"Où est passé la journée d'hier"
Galerie Isabelle Gounod, Paris, 2005


Communiqué de presse pour la galerie Isabelle Gounod