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Balkenhol, Baechler, Vital... Perpetual Bliss

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    © Oeuvre de Liza Lou, courtesy galerie Thaddaeus Ropac

Sorte d’état des lieux de la sculpture contemporaine, le choix des œuvres présentées a ceci de stimulant qu’il ne s’enferme dans aucune vision privilégiée. Soulignant au contraire la grande diversité des démarches, cette confrontation d’œuvres très différentes est aussi un moyen d’en faire ressortir la singularité. Elles nous placent chaque fois dans des situations inédites qui enrichissent notre rapport à l’objet et en ravivent les implications et significations, occultées par une trop grande familiarité d’usage.

Sculptée par Stephan Balkenhol, une petite femme à la pose hiératique regarde droit devant elle. Grâce au socle de bois disproportionné qui la supporte, elle nous surplombe de ses trente centimètres de hauteur. D’aspect ordinaire, ce personnage dénué d’expression partage pourtant avec les héros de l’histoire le même privilège d’élévation. Des petits coups de burin tailladent le bois à contre-sens, allant jusqu’à hérisser par endroits sa surface.
En mettant en valeur la résistance du bois, Balkenhol accentue le travail essentiellement physique d’une sculpture qui est affrontement à la matière : on embrasse d’un seul regard le cheminement qui mène du bois brut à l’extraction de ce gracieux personnage.

Donald Baechler rend visible le passage de la matière à son actualisation dans une forme. Un portrait en buste de profil, et un bouquet de fleurs, tous deux en bronze semblent pourtant faits d’une boue épaisse et noire. Le contour maladroit des masses dessine une forme imprécise, et un rendu grumeleux de la surface fait vibrer ces formes obscures. Le titre du portrait annonce une seule tête, mais le buste en constitue une seconde, qu’à première vue on ne distingue pas. On reste comme au seuil de son actualisation totale.

Issus d’une génération qui a eu en héritage la rigueur minimaliste et conceptuelle des années 1970, ces travaux de Balkenhol et Baechler, non dénués d’humour, réintègrent ce qui devenait tabou : le recours à la figuration et surtout à la figure humaine.
Voisinant ces œuvres très incarnées, les quatre coussins gonflés d’air de Gerald Rockenschaub apparaissent dans toute leur légèreté. Disposés côte à côte, ils effleurent le sol, sans attache, comme prêts à décoller. Leur immatérialité, leur propension à habiter l’espace rendent le socle inutile.

D’autres sculptures, comme celles de Not Vital ou de Liza Lou, tirent leur puissance d’une appropriation imaginaire des objets les plus usuels. Ils imposent leur forte présence et nous inscrivent dans un rapport de fascination, altérant la relation "ustensilaire" que l’on pratique d’ordinaire avec eux. Le grand traîneau de marbre blanc que Not Vital a dressé à la verticale fait apparaître un nouvel objet, sorte de totem à la beauté intimidante.
Liza Lou, en parant de perles brillantes un tronc d’arbre dans lequel une hache est plantée, les investit d’une charge spirituelle et symbolique.

Depuis les ready-made de Duchamp, et parce qu’elle partage avec l’objet sa tridimensionnalité, la sculpture ne cesse d’interroger les limites de son identité par un jeu serré de confrontations ou d’identifications à celui-ci. L’objet ready-made de Sylvie Fleury, une élégante chaussure à talon en bronze, est posé sur un cube de miroirs, réfléchissant sa silhouette. Son mode d’exposition ainsi que sa fabrication dans un matériau noble présente la chaussure, non pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle évoque et suggère : un attribut de luxe et de séduction flattant l’ego. Par cette mise en scène, l’artiste rappelle de façon ironique la valeur ajoutée que l’industrie de la mode, et plus généralement les médias donnent à ces accessoires de beauté. Elle pointe les différentes réalités, psychologiques, idéologiques ou sociales, qui nous lient de manière irrationnelle à des objets qui sont investissements du désir.

Tom Sachs se confronte, quant à lui, aux objets manufacturés du monde industriel en les sortant de leur neutralité. Sink ist Module est un lavabo d’aspect bricolé, doté d’un judicieux système de tuyauteries et de jerrican d’eau. L’assemblage grossier de ces différentes composantes, à grands coups de sparadrap et de colle dont on voit bien les traces, met à nu son processus de fabrication et son système de fonctionnement. Réappropriation artisanale d’un objet industriel, ce lavabo s’apparente à un jeu de construction ludique.

Mc Donald Garbage Can est un meuble peint en rouge avec, posés dessus, des petits plateaux en plastique orange dont on a pyrogravé le sigle. Ces traces de brûlures manifestes peuvent être lues comme une réaction agressive contre un monde formaté. Autant de gestes par lesquelles Sachs développe un rapport singulier et personnel avec des objets dépourvus de personnalité.

Les trois métronomes noirs que Martin Creed a posés sur un socle blanc rectangulaire apparaissent dans toute leur sobriété : froids instruments de mesure du temps qui passe. La forme des métronomes et la polarité exclusive du noir et du blanc peuvent évoquer une trinité de juges à la sentence sans appel, ou bien ces hommes des temps modernes courant contre la montre, au costume noir devenu depuis Baudelaire symbole de cette triste aliénation.

Balkenhol, Baechler, Vital...
Perpetual Bliss
Galerie Thaddaeus Ropac, Paris


Pour paris-art.com, 2005