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Pierrette Bloch

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    © Courtesy galerie Frank Elbaz

Depuis les années 1960, Pierrette Bloch aligne imperturbablement des petites touches d’encre noire sur des feuilles blanches qu’elle a posées au sol, à l’aide d’une plume ou d’un pinceau. Bien qu’elle ait aussi réalisé dans les années 1980 des travaux à partir de fils de crin noués ou agrégés en trames complexes, elle n’interrompt jamais cette pratique du dessin qui demeure privilégiée.

Leur procédé très simple d’exécution dévoile la pression de la main, plus ou moins insistante, la qualité du geste, appliqué ou emporté. L’artiste déroule une écriture faite de pois, points, tirets et taches, à la fois nerveuse et concentrée, emportée par un mouvement qui se déploie du haut vers le bas, ou d’un côté à l’autre de la feuille.

Pas de commencement ni de fin dans ces encres que Bloch réalise l’une après l’autre jusqu’à ce que sa main se lasse. La seule limite est en fait physique, semblable à celle ressentie par le promeneur que ses pieds ne peuvent plus porter. Ce n’est donc pas tant de limite qu’il faudrait parler que de « finitude ».
« J’entreprends un long voyage sur une feuille, je m’enveloppe dans ce parcours ; ce n’est plus une surface, mais une aventure dans le temps. Le format n’existe plus ». Les métaphores de la promenade et de l’errance, reviennent souvent dans les textes concis que l’artiste écrit en contrepoint de son travail graphique.

Marcher, tricoter, « faire des points », autant de pratiques qu’on peut réaliser de façon quasi somnambulique en raison de leur caractère répétitif et dont Bloch évoque le caractère apaisant. On sent sourdre en effet une inquiétude dans cette boulimie de dessin, l'écriture patte de mouche avec laquelle l'artiste recouvre compulsivement de longues bandes de papier, plus d’un mètre parfois, conjurant le temps qui passe.

« Apprendre à ne pas développer, c’est apprendre à démasquer la contrainte culturelle et sociale qui s’exprime d’une manière autoritaire par les règles du développement » écrivait Blanchot dans L’Entretien infini. Pas de progression qualitative visible dans ce travail, pas d’arguments ni de justification : Chaque œuvre nous situe au cœur du propos de Pierrette Bloch qui tient tout entier dans ce travail de variation. Quotidiennement, du bout de son pinceau, elle expérimente une infinité de possibles, en se tenant sensible aux infimes modulations des signes que sa main dépose. A ceux qui verraient dans cette pratique un terrain d’intervention limité, Pierrette Bloch démontre depuis des années qu’il suffit pourtant d’une feuille blanche et d’un pinceau pour se donner le vertige…

Pierrette Bloch
Galerie Frank Elbaz, Paris


Pour paris-art.com, 2004